https://doi.org/10.57988/crig-2301
Mbusa Maghulu Fabrice
et Kambasu Kasula Florent
Résumé
Le
secteur agricole contribue largement à l’économie nationale. La question de son
financement n’est pas encore résolue tant au niveau national que local. Malgré
les potentiels agricole et financier qui existent, les réticences sont encore
énormes quant à l’implication de différents acteurs financiers tant publics que
privés de sorte que le grand problème auquel sont confrontés les producteurs
agricoles dans la région de Beni – Butembo est le non-accès au financement.
Ainsi, face à une demande agricole croissante, une offre publique de financement
en formation diminution et une frilosité de l’offre privée, des efforts
devraient être fournis pour améliorer la contribution de la microfinance au
financement des agricultures familiales.
Mots clés : Financement agricole, Demande, Offre
Summary
The agricultural sector is a major contributor to the national economy.
The question of its financing has not yet been resolved, both at national and
local level. Despite the existing agricultural and financial potential,
reluctance is still enormous regarding the involvement of various financial
actors, both public and private, so that the major problem facing agricultural
producers in the Beni – Butembo region is the non- access to financing. Thus,
in the face of growing agricultural demand, a diminishing public supply of
training financing and a reluctance of the private supply, efforts should be
made to improve the contribution of microfinance to the financing of family
farming.
Keywords :
Agricultural financing, Demand, Supply
Introduction
L |
e secteur agricole
contribue largement à l’économie nationale. Créateur d’un nombre important
d’emplois, sa relance constitue une stratégie de choix de lutte contre la
pauvreté. Cette relance implique celle de la production agricole, l’accès des
populations aux services sociaux de base et donc l’amélioration de la sécurité
alimentaire. La question fondamentale qui reste l’épine dorsale de notre
préoccupation est de savoir si cette croissance de la productivité agricole est
déjà au rendez-vous en RD Congo. Bien que, maintes fois déclaré priorité des
priorités par les différents gouvernements, le secteur agricole a toujours été
le parent pauvre de l’économie congolaise. Contribuant par moment au PIB
national à au moins 50% comme l’année 2000 ; les dépenses publiques allouées
au secteur agricole ne représentent qu’environ 3% du PIB et voire moins de 2%
du budget national[1], allocation non
cohérente avec les objectifs du PDDAA (Programme Détaillé de Développement de
l’Agriculture Africaine) du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement en
Afrique) pour lesquels une dotation d’au moins 10% des dépenses totales est
requis. De cette manière, le développement du secteur agricole et rural fait
face à de multiples contraintes, dont les plus importantes sont celles liées notamment
à l’accès aux marchés, à la gouvernance du secteur, au financement du secteur
et à la production (MINAGRI et MINIDER, 2010 : 18).
Malgré
le foisonnement des institutions de financement et la multiplication des
financements agricoles à travers les projets de développement rural, les
paysans restent toujours pauvres en majorité et recourent régulièrement aux
réseaux familiaux pour le financement des activités agricoles et rurales. Les
techniques de production agricole étant toujours rudimentaires, l’atteinte d’un
niveau acceptable d’intensification durable des systèmes culturaux reste encore
problématique. Le secteur agricole reçoit, en effet, de moins en moins
d’investissement. Son financement fait des difficultés s’accroissant du jour au
jour à la suite d’un désengagement de l’appareil étatique des filières
agricoles. Ainsi, pour un développement harmonieux, il importe que ce secteur
bénéficie des ressources financières suffisantes. En effet, le financement en
agriculture comme à tout autre secteur de l’économie constitue une opération de
mise à disposition des capitaux pour un exercice optimal de son activité
économique en vue d’accroître la production.
En
RD Congo, plusieurs institutions interviennent dans le secteur agricole. D’un
côté se retrouve le financement privé du secteur agricole assuré par les
Banques commerciales et les institutions de microfinance alors que de l’autre
se retrouvent les structures publiques et institutions autonomes, les
organismes parapublics et les organisations paysannes et professionnelles.
Cependant tous ces acteurs ne peuvent intervenir que sous l’appui de l’organe
par excellence qui est le pouvoir public ou mieux le Gouvernement qui adopte
différents programmes de relance du secteur agricole. Ainsi donc, la question préoccupante
reste de « savoir comment améliorer
l’offre du financement agricole en faveur des producteurs ».
Il
s’agit dans le cas précis de passer en revue la manifestation de la demande de
financement agricole à travers les multiples besoins des producteurs agricoles.
L’autre aspect est d’étudier l’offre de financement tel qu’assuré par les
institutions financières. Ainsi, pour qu’il y ait une adéquation entre l’offre
et la demande de financement agricole, il importe d’assurer une concertation
entre les acteurs et une régulation en mettant en place le temps et les moyens
nécessaires pour accompagner le processus de financement.
Cette
étude voudrait mettre à la portée des lecteurs les différents besoins des
producteurs et la manière dont ils sont satisfaits par les institutions
financières. Loin de cerner tous les acteurs financiers agricoles, l’attention
porte uniquement sur les institutions financières en faisant moins allusion aux
autres acteurs tels que les institutions publiques, les ONG et les financiers
informels comme les usuriers et l’autofinancement.
En
puisant dans des données recueillis auprès de 138 individus, producteurs
agricoles et de 12 institutions financières, cette étude, réalisée en 2013 en
ville de Butembo, use d’une méthode inductive appuyée par trois
approches : fonctionnelle, descriptive et analytique. L’analyse
fonctionnelle a permis de saisir le rôle de différents acteurs impliqués dans
le financement du secteur agricole. Ainsi, ont-ils été ciblés les acteurs du
secteur public et ceux du secteur privé, les organisations non gouvernementales
et les individus chacun avec un rôle particulier dans le maillot du financement
de l’agriculture. L’approche descriptive, quant à elle, permet de comprendre le
fonctionnement actuel du financement de l’agriculture en donnant une vision
plus ou moins exacte sur les différents acteurs et les différents produits
financiers qu’ils offrent sur le marché. L’approche analytique a permis
d’analyser le fonctionnement de ce secteur en y décelant les différents atouts,
contraintes et perspectives de rayonnement.
1.
Notions sur la demande et l’offre du financement agricole
Le
financement lié à l’agriculture suppose deux mouvements complémentaires. D’un
côté, il y a les exploitants agricoles qui expriment leurs besoins de
financement et d’un autre, les différents acteurs qui offrent le
financement. Ce paragraphe analyse donc les différents besoins des agriculteurs
et l’offre de financement pour l’agriculture.
1.1. Analyse des
besoins financiers de l’agriculture[2]
Au
niveau de la production agricole, trois grands types d’exploitations agricoles
sont catégorisées (Des Jardins Développement International, 2005 :
5) : les petites exploitations visant l’autosubsistance, les exploitations
agricoles marchandes diversifiées et les exploitations agricoles marchandes
spécialisées. Les premières produisent principalement pour leur consommation et
écoulent occasionnellement les surplus au marché. Les secondes réservent
certaines parcelles de terre à la production d’aliments de base pour
l’autoconsommation alors que d’autres parcelles servent à la production de
cultures de rentes destinées à la vente. Enfin, la dernière catégorie recouvre
des entreprises qui produisent principalement une seule culture ou pratiquement
un élevage essentiellement destiné au marché.
De
ces exploitations, il est presque démontré que celles qui nourrissent la
plupart des paysans dans le monde rural et qui fournissent également des
denrées alimentaires sur le marché urbain sont des petites exploitations de
type familial. Cette agriculture familiale se caractérise par d’étroits liens
entre exploitation agricole et la famille. Ainsi les budgets des exploitations
agricoles sont étroitement imbriqués, voire confondus dans ceux des ménages qui
prennent directement en compte les besoins de financement des activités
productives, d’investissement, de consommation mais aussi des besoins sociaux.
Également, la seconde spécificité du financement de cette agriculture
est la grande diversité des besoins, liée à la diversité des exploitations et
des activités (agricoles et non agricoles) mises en œuvre au sein d’une même
exploitation. Une forte diversité de contraintes s’ajoute à celles de besoins,
et varie en fonction des contextes agroéconomiques, des systèmes de production
agricole mis en œuvre (plus ou moins diversifiés et intensifs), des systèmes
d’activités des ménages et de leur degré d’insertion sur les marchés.
Pour
appréhender les besoins de financement des exploitations agricoles, il faut
donc avoir une connaissance fine des systèmes d’activités des ménages et des
budgets familiaux, afin de comprendre l’articulation des différents besoins,
des opportunités et des contraintes de financement. Ce type d’approche
permet d’appréhender les problèmes de gestion de trésorerie qui, s’ils sont
fréquents dans le milieu agricole, ne correspondent pas uniquement à des
besoins de crédit mais également d’épargne, permettant l’autofinancement de
certains besoins.
Les
besoins du crédit agricole peuvent être en court, moyen ou long terme et vont
concerner les intrants agricoles ou l’embouche, le stockage et la
transformation, les activités de production agricole, les équipements agricoles
jusqu’à l’acquisition du foncier et des équipements lourds. Si ceci s’explique
mieux pour les exploitations familiales, il faut aussi souligner que les
besoins de financement spécifiques des organisations paysannes visent à
améliorer l’accès des producteurs aux services financiers, financer les
initiatives économiques collectives et générer des ressources permettant de
couvrir les frais de fonctionnement des organisations paysannes, à contribuer
au renforcement des capacités de l’organisation de producteur et à participer
au co-financement de services d’appui à l’agriculture.
Le
financement des activités économiques des organisations des producteurs
requiert des volumes de financement importants (fonds de roulement,
équipement), avec des contraintes fortes liées à la saisonnalité des activités
et au risque résultant de facteurs aussi bien externes (instabilité des marchés
agricoles, politiques des prix...) qu’internes aux organisations (faible
structuration des organisations, capacités et outils de gestion insuffisants,
faible capitalisation…). Les organisations des producteurs (OP) ont par
ailleurs souvent à porter le poids d’une histoire longue et difficile en
matière de crédit (impayés, endettement) qui peut compromettre durablement leur
crédibilité auprès des institutions de financement.
1.2. Offre de
financement pour l'agriculture et sources du crédit agricole
Les
services financiers, qu’ils soient bancaires ou de microfinance, se tournent en
priorité vers les zones urbaines et, quand ils investissent dans le secteur
rural, ce sont les activités non agricoles qui sont favorisées : commerce,
petite transformation agroalimentaire, artisanat. La prudence des institutions
financières à l’égard du secteur agricole s’explique par les différentes
caractéristiques que présente ce dernier qui ont des effets négatifs sur le
crédit agricole.
Le
crédit à l’agriculture est issu de quatre types d’offre : offre du secteur
public, du secteur privé (banques privées, crédit fournisseur), offre du
secteur intermédiaire de la microfinance et organisations non-gouvernementales,
et offre informelle (usuriers, tontines, prêts familiaux). En effet, lorsque
les agriculteurs ont besoin des fonds pour financer leurs activités, ils ont la
possibilité de recourir à deux principales sources : les ressources
propres et les ressources extérieures. Ainsi, pour Thorsten
Giehler (2003 : 25-66 ; 79-81), les prêts à
l’agriculture peuvent être financés à partir des différentes sources comme
l’épargne des ménages agricoles, le marché des capitaux, les fonds propres, les
allocations budgétaires du gouvernement, les services de refinancement de la
banque centrale et les emprunts internationaux… avec différents avantages et
désavantages que chaque source peut avoir.
Le
financement intérieur ou autofinancement est l’épargne dégagée par les
agriculteurs eux-mêmes de leur revenu pour être affecté après dans
l’exploitation. Celui-ci est conservé par l’agriculteur lui-même sous forme de
thésaurisation ou dans une mutuelle de solidarité ou bien même dans une
tontine.
Les
ressources extérieures par contre peuvent être octroyées comme une aide ou un
crédit provenant soit des circuits officiels soit des sources informelles. Ces
dernières sources sont constituées des personnes physiques appelées usuriers.
C’est soit un ami du demandeur de crédit, soit son membre de famille ou même
une personne qui se sent fort dans le village, capable de dépanner les autres,
à un taux d’intérêt élevé et dans un délai le plus court possible. Dans le
milieu rural, la part des sources informelles se révèle importante dans les
activités.
Par
ailleurs, on trouve des institutions et organismes officiels ou formels de
financement tels que les coopératives d’épargne et de crédit à vocation
agricole, les banques rurales, les banques centrales, les banques de
développement ou de crédit agricole, les organismes privés (société d’assurance
et banque commerciale) et les ONG et institutions financières non formelles.
De
façon plus
spécifique, lorsque l’offre de financement agricole passe par une ONG et une
organisation des producteurs agricoles (OPA), elle est développée le plus
souvent à travers quatre stratégies pour répondre aux besoins de financement de
leurs membres : soit, l’OP développe elle-même le crédit mais cette option
nécessite des compétences techniques qui font souvent défaut ; soit elle
crée une organisation sœur qui octroie le crédit ; soit encore elle
développe des relations de confiance avec des institutions financières
existantes pour assurer le crédit à ses membres ; soit alors finalement,
sous forme des faîtières, elle met en en place d’un cadre macro-économique et
politique favorable au financement de l’agriculture. Toutefois, la mise en
place de chacune de ces stratégies nécessite des qualifications importantes des
OPA et un environnement favorable pour leur épanouissement. Et, il apparaît
clairement pour chacune de ces options la nécessité d’un dialogue permanent
entre les différents acteurs (OP, institutions financières et État)
(WAMPFLER B., DOLIGEZ F. et LAPENEU C., 2008 : 35-78).
Mais
de toutes ces sources, ce sont les banques de développement ou de crédit
agricole qui sont les mieux indiquées pour le financement de l’agriculture
aussi bien par leurs ressources que par leurs placements en fournissant des
crédits directement aux agriculteurs, ou en les finançant par l’intermédiaire
des coopératives de crédit. Malheureusement elles ont cessé d’exister ou ont
réduit pour la plupart leurs opérations au cours de dernières décennies. Et les
institutions qui fonctionnent posent beaucoup de contraintes face au secteur
agricole.
1.3. Les
contraintes liées au financement agricole
Le
financement des activités agricoles présente des caractéristiques spécifiques,
tant en termes de diversité des services nécessaires (besoins de trésorerie, de
fonds de roulement, d'investissements de moyens et de longs terme) qu’en termes
de risque (incertitude sur la production, risques covariants (climatique,
sanitaire, ...), risques économiques liés à l’étroitesse et à la faible
organisation des marchés). La rentabilité des systèmes de production agricole,
la gestion de trésorerie des ménages, la rentabilité des innovations agricoles,
les risques, sont autant de zones d’ombre qui limitent toute initiative du
secteur financier en faveur de l’agriculture. À l’opposé, l’isolement
culturel, l’éloignement géographique, le manque d’information, le coût de
l’accès, découragent les producteurs agricoles d’aller vers le secteur
financier. Pourtant, il existe une demande forte de financement dans le secteur
agricole, au niveau des ménages, des organisations de producteurs, des
filières, et une part significative de cette demande est solvable.
Pour
les chercheurs du Centre européen de recherche en microfinance (CERMi), les méthodes de prêts et les produits
traditionnellement utilisés par les institutions de microfinance classiques ne
sont pas adaptés au financement de l’agriculture. Ces institutions font
généralement des prêts de petits montants, de courte durée, à des taux
relativement élevés et dont le remboursement s’effectue en plusieurs étapes
très rapprochées (HUDON, M. et al., in MORVANT-ROUX, S., 2009 : 28-30).
Pour mieux comprendre combien les différentes caractéristiques des prêts en
microfinance sont inadéquates pour le financement de l’activité agricole, il
faut partir même des caractéristiques de l’agriculture.
Généralement,
l’agriculture est caractérisée par des cycles longs, une saison, par exemple.
C’est pourquoi les paysans ont besoin de prêts d’une durée correspondant à
celle de leur activité agricole et non des crédits de courte durée inférieure à
six mois. Il en est de même des besoins de crédits à moyen et long terme pour
renouveler les équipements et acquérir les innovations. Par rapport donc au
cycle, il en va du remboursement, les rentrées financières ayant lieu une fois
au moment de la récolte, moment auquel le paysan peut être alors en mesure de
rembourser. Pour Betty Wampfler, parlant des
spécificités de l’agriculture, elle note qu’elle requière des volumes
financiers importants. Également, elle a des besoins de services
financiers diversifiés. Mais aussi, financer l’agriculture est risqué surtout
qu’agriculture et systèmes financiers se connaissent mal et se font peu
confiance (WAMPFLER B., DOLIGEZ F. et LAPENEU C., 2008 : 16 – 17).
Si
les montants des prêts des IMF sont très petits pour permettre les
remboursements, l’activité agricole demande des prêts relativement plus
importants, que ce soit pour l’achat d’intrants, de matériel ou d’outils de
production. Quant aux taux des IMF, ils sont généralement élevés et peuvent
être trop élevés pour pouvoir être supportés par l’activité agricole. Ces taux
peuvent être applicables dans le petit commerce ou l’artisanat qui ont un
rendement important. Or, le rendement interne de l’activité agricole est
relativement faible. Il peut donc s’avérer inférieur au taux d’intérêt pratiqué
par les IMF. Ce dernier point est sans doute l’élément le plus problématique,
car il révèle une impasse et soulève la question des subventions à
l’agriculture et de la nécessité d’un soutien de l’État.
Le
secteur agricole et rural comporte un certain nombre de spécificités (FAO &
GTZ, 1999 : 35-45 ; WAMPFLER B. et LAPENU C., 2002 : 8 –
9 ; WAMPFLER B., 2002 : 61-70 ; MORVANT-ROUX, S.,
2008) rendant plus difficile, coûteux et risqué son financement. En compilant
plusieurs sources (Lapenu, Cécile, in MORVANT-ROUX, Solène, 2009 :
68 ; Wampfler B., Lapenu C., 2002 ; WORLD
BANK, 1998 ; NIYONGABO, 2008 : 6 – 8 ; FAO, GTZ, 1998 : 35
– 45 ; KLEIN, B., et al., 1999 : 12 ; NYIEHTEWANG Philip Nkwetta, in Joseph MBOUOMBOUO NDAM, 2011 : 107 –
113 ; Wampfler, B. et al., 2008 : 16 – 18),
cinq raisons principales sont identifiées pour expliquer ces difficultés de financement. Ainsi se
fait-il que l’offre à l’agriculture reste « toujours insuffisante et
inadaptée » (MORVANT-ROUX, S., 2008 : 3).
Une
première raison réside dans la dispersion territoriale, l’éloignement et l’hétérogénéité des populations, la
faiblesse des infrastructures de transports et de communication, parfois la
faible densité des populations et un enclavement important, qui rendent coûteux
l’accès aux services financiers et le développement d’un maillage territorial.
Une
deuxième raison est liée à l’importance des risques des activités agricoles,
surtout exogènes,
comme les aléas climatiques, les épizooties ainsi que les risques économiques
liés à l’incertitude au niveau des débouchés et des prix des produits
agricoles. Leur faible rentabilité, leur relative « spécialisation »
et le risque « covariant » qu’elle induit conduisent souvent à un
faible niveau de revenu.
Une
troisième raison est la faiblesse des ressources humaines (faible niveau de
formation et peu d’incitation pour les personnes formées à travailler
en zones rurales) compliquant le développement d’une offre locale de services.
Une
quatrième raison réside dans le manque de garanties appropriées et les cadres règlementaires, légaux et politiques
peu favorables, fragilisant les transactions financières, en particulier le
problème de la fiabilité juridique ou même de l’existence des titres fonciers.
Une
cinquième raison
est relative à la « culture du crédit », où le prêt est parfois
confondu avec un don, du fait des antécédents institutionnels en matière de
crédit (banques publiques de développement) et qui se retrouve encore parfois à
l’heure actuelle lors de périodes électorales ou dans des positions populistes
de certains gouvernements, compliquant les remboursements des prêts. En effet,
comme le notent Zonon Abdoulaye et Kazianga Harouna (2002 : 7), les institutions
financières décentralisées sont confrontées aux attitudes des paysans face au
crédit balançant entre don ou crédit. Ainsi, plusieurs raisons ont fait que les
paysans ont été amenés à confondre le crédit et le don :
· Les
sociétés traditionnelles ne connaissaient pas de telles formes de crédit et
souvent il n'y a pas eu assez de sensibilisation pour permettre aux paysans de
prendre conscience des règles de jeu en matière de crédit ;
· Le
crédit accompagnait des cultures de rentes que le gouvernement voulait
promouvoir et le paysan percevait le crédit comme un don ou une prime visant à
les faire adopter les nouvelles cultures ;
· Le
crédit dans la plupart des cas était accordé avec une facilité déconcertante
qui faisait croire aux paysans que son remboursement n'était pas une
obligation. De toute façon, aucune garantie n'étant exigée pour avoir le crédit
le paysan n'avait pas grand-chose à craindre en cas de non-remboursement ;
· Souvent
les conditions politiques pour l'obtention d'un crédit ou d'un projet avec un
volet crédit étaient plus importantes que les conditions techniques. Les
conditions de l'éligibilité au crédit n'ont pas permis toujours de choisir les
meilleurs opérateurs pour garantir un meilleur taux de remboursement du crédit.
Les paysans bénéficiant de protection politique n'étaient pas les plus pressés
à rembourser leur crédit.
Aux
cinq raisons précédentes, peut être ajoutée une sixième
relative à la faible organisation au plan professionnel de la plupart des
filières agricoles de sorte que l’existence de bonnes organisations
professionnelles offrirait des assurances d’encadrement et des possibilités de
garantie corporative.
Pour
ces raisons, les marchés financiers ruraux et agricoles sont contraints par des
coûts de transactions élevés et des risques importants qui freinent le
développement des services financiers. Ces risques peuvent être classés en
plusieurs catégories : risques financiers (crédit, liquidité ou
trésorerie, solvabilité ou insolvabilité, taux d’intérêt, position de change,
marché), les risques opérationnels, les risques commerciaux et les risques
événementiels, les risques de gestion (par exemple les IMF fortement
subventionnées peuvent être moins rigoureuses dans le choix des demandes à
financer) et les risques de gouvernance (Maria E. Pagura,
in MORVANT-ROUX, S., 2008 : 246
– 248 ; Klein, Br. et al.1999 : 14).
Pour
faire face aux différents risques, dans un souci
de mieux répondre aux besoins financiers tout en contrôlant les risques engagés, les acteurs
adoptent trois grands types de stratégie (Bachelier, B & Morvant-Roux, S.,
in Morvant-Roux, S., 2008 : 14) :
-
diversification des
produits financiers : combinaison de différents produits financiers pour
l’agriculture (leasing, warrantage, financement des intrants, etc.) ;
-
diversification des
activités financées : agricole et non agricoles ; activités
productives, dépenses sociales ou de consommation ; priorité aux grandes
exploitations agricoles au détriment des petits paysans ;
-
alliances stratégiques
avec d’autres acteurs : entre l’IMF, les banques et les organisations de
producteurs ou encore entre l’IMF, le secteur privé, le secteur public
(État, bailleurs de fonds).
La
mise en œuvre de ces stratégies de minimisation de risque dans un environnement
économique caractérisé par la rareté des ressources financières de long terme
conduit souvent les IMF à offrir des produits et services inadaptés aux besoins
réels de financement de l’agriculture (KODJO et al., 2003 : 21 – 31).
Toutes ces causes de réticence étant connues, la nécessité d’accroître la
productivité agricole, de l’adapter aux exigences de l’économie de marché et
d’améliorer le niveau de vie des producteurs agricoles exige la mise au point et
l’adoption d’innovations au niveau de tous les maillons des filières agricoles
(production, stockage, transformation et commercialisation). Ces innovations ne
seront possibles que par la mise en action d’un financement adapté aux besoins
des producteurs agricoles, car le plus souvent leur capacité d’autofinancement
est insuffisante. Ainsi face à la faillite des banques agricoles et le
désintéressement des banques classiques au secteur agricole et même des
institutions de microfinance, il est grand temps que les responsables
politiques mettent en œuvre des politiques capables de contribuer efficacement
au financement de l’agriculture.
2.
Demande des financements de l’agriculture dans la région de Beni-Butembo
La
demande d’un bien ou d’un service est liée à plusieurs facteurs. Dans le cadre
précis de cette étude, il s’agit ici de la satisfaction des besoins des
producteurs. Ces besoins sont de plusieurs ordres et apparaissent à différents
moments du cycle de l’activité agricole. Besoins à court, moyen ou long termes,
ils concernent les montants des investissements (frais d’installation) de
départ, des équipements et achat des
terrains, la rente annuelle foncière ou redevance, l’achat des matières
premières et semences, le paiement de la main-d’œuvre de la préparation du
champ à la commercialisation en passant par les travaux d’entretien et de
récolte, la formation aux nouvelles techniques culturales et technologies, la
mise en place d’une technologie de production et l’accès à des services payants
(accès à l’information, à la réglementation, aux marchés intérieurs et
extérieurs, transports, assurances, etc.)
2.1. Besoins
financiers et utilisation du crédit
Les
résultats de cette étude portent sur 138 individus, choisis de façon aléatoire
mais sur base d’un critère d’exclusion, en procédant par élimination
progressive basée sur la superficie totale emblavée par agriculteur, la base
inférieure retenue ayant été un total de 1 ha. En d’autres termes, les paysans
dont la superficie totale emblavée n’atteignait pas ce nombre n’ont pas été
pris en compte. Quant aux éleveurs, le nombre des têtes était aussi déterminant
en raison d’un minimum de 10 pour l’élevage des bovins, 20 pour les caprins et
ovins, 15 pour les porcs et 30 pour les lapins, poules et cobayes. Toutefois
ceux-ci n’ont été pris en compte dans la mesure où l’élevage est l’activité
principale ou la première
activité secondaire. La plupart sont des hommes soit 83%, les femmes ne
représentant que 17%.
La
production agricole est la principale activité agricole la plus fréquente (61%)
suivie de la production animale (26%). Aucun agriculteur ne pratique
l’exploitation et la production halieutique et également, aucun ne se livre
uniquement à la transformation et/ou commercialisation des produits agricoles.
La combinaison de l’agriculture avec l’élevage est peu courante (9%).
Également, trois agriculteurs soit 2% combinent la production végétale
et la transformation et trois autres (2%) la production végétale et la commercialisation
des produits agricoles. En considérant les données séparément, on peut alors
constater que 102 individus pratiquent la production végétale laquelle occupant
en elle seule 74%, l’élevage, la transformation et la commercialisation
occupent le reste. De même, les exploitations de production agricole ont une
superficie totale variant de 1 à 12 ha avec une superficie totale de 223,9 ha
pour 102 individus soit une moyenne de 2 ha par agriculteurs.
Lors
des investigations, des postes pour lesquels le producteur agricole a plus
besoin du financement ont été renseignés. Les résultats des enquêtes auprès de
138 individus révèlent que, pour les agriculteurs, les moments cruciaux qui
nécessitent un financement agricole sont de plusieurs ordres. Les plus récurrents
se rapportent au financement des campagnes agricoles (38%) c’est-à-dire l’accès
aux intrants agricoles et principalement les semences et les produits
phytosanitaires, à la main-d’œuvre salariée (29%) et l’accès à la terre
(28%) ; et, dans une moindre mesure, l’équipement de production et
post-production pour assurer le transport, l’écoulement ou la transformation de
la production, l’accès à l’information et la formation.
Du
côté des éleveurs, la structure des charges de production permet de situer deux
niveaux de besoins de financement : les besoins liés aux cycles de production
que sont les intrants, les salaires, les fonds de roulement et les matières
premières (61%) et les autres besoins liés aux techniques et équipements de
production comme les produits vétérinaires (39%).
Les
besoins capitaux des commerçants résident
principalement à l’accès aux informations liées à la réglementation du marché
et dans le conditionnement et le transport des produits.
Par
rapport à ces besoins, les exploitants ayant sollicité et bénéficié d’un crédit
auprès d’une institution financière ou d’une organisation non gouvernementale
ou mutuelle de solidarité, l’ont utilisé pour financer la campagne agricole, le cycle
d’élevage ou d’autres besoins particuliers. En effet, beaucoup ont déclaré
avoir investi le crédit reçu dans l’achat de matières premières et semences et
dans le paiement de la main-d’œuvre salariée. Par contre, une proportion non
moins négligeable a utilisé le crédit pour répondre aux dépenses alimentaires du
ménage et autres dépenses d’investissement social comme la scolarisation des
enfants… C’est bien là une caractéristique importante des exploitations
familiales où les dépenses agricoles sont souvent confondues avec les dépenses
de l’exploitant ou du ménage. C’est également dans cette optique que lorsque
les producteurs recourent à une source externe, ils font souvent appel aux amis
et familiers surtout pour la main-d’œuvre.
2.2. Accès au
crédit et expression de la demande de crédit
L’accès
au crédit a été appréhendé de plusieurs manières. Les données peuvent être
regroupées selon qu’il s’agit des réponses des agriculteurs ou des ONG appuyant
les producteurs par rapport aux institutions auxquelles recourent les
bénéficiaires de leurs actions en cas de besoins financiers. Mais pour ce
faire, il fallait d’abord se rendre compte si les différents producteurs sont
informés des activités des institutions de financement, s’ils en
connaissent quelques-unes dans leur environnement s’occupant du
financement de l’agriculture. Également, une autre préoccupation était
relative à l’ouverture d’un compte et à la demande ou l’accès au financement
agricole. Les différentes réponses sont colligées dans le tableau
ci-dessous :
Tableau 1 :
Caractéristiques de la demande de crédit par les agriculteurs
N° |
Paramètres |
Effectif |
Pourcentage |
1 |
Effectif
total de l’échantillon |
138 |
100 |
2 |
Informé
de l’activité des institutions financières |
102 |
74 |
3 |
Ayant
fait une demande de crédit à une institution financière |
36 |
26 |
4 |
Ayant
reçu au moins une fois de crédit de 2009 à 2012 |
27 |
20 |
5 |
Ayant
un compte dans une institution financière |
39 |
28 |
6 |
Ayant
connaissance d’une institution octroyant du financement au secteur agricole |
98 |
75 |
Source : Nos
enquêtes
Ce
tableau révèle que, sur 138 agriculteurs contactés, 102 soit 74% sont informés
des activités des institutions financières et 98 producteurs également
connaissent des organisations qui octroient du financement au secteur agricole.
Parmi les institutions citées, on répertorie des ONG, ASBL et Organisations internationales pour 54%, des COOPEC et
IMF pour 25% et les MUSO pour 15%. Aucune allusion n’a été faite aux services
étatiques comme l’AGRIPEL, l’IPAPEL, le SENAMA, le SENASEM… à part
l’institution paraétatique CAPSA pour 3% qui octroie des semences aux paysans
et enfin les banques pour 2%. Ceci permet déjà d’affirmer déjà partiellement
que le crédit agricole est généralement assuré par les acteurs privés à plus de
90%, la part de lion étant aux ASBL et ONG.
Quant
à la demande de financement, 26% d’agriculteurs ont déjà exprimé au moins une
fois une demande de crédit. Pendant que certains (20%) ont déjà reçu au moins
un crédit durant les cinq dernières années, d’autres n’en ont jamais reçu. Pour
les uns et pour les autres, parmi les raisons de non-accès au crédit figurent
le manque de garantie acceptable par les institutions de financement pour 56%,
l’activité jugée non rentable et viable pour 33% et le non-dépôt d’une épargne
préalable pour 11%. Par contre, pour la grande majorité des agriculteurs qui
n’ont jamais formulé une demande de crédit auprès d’une institution formelle,
les raisons avancées sont diverses. Les plus importantes sont la
crainte du risque (33%) c’est-à-dire les représailles en cas de risque, le
manque d’informations sur les possibilités de crédit ou manque d’institutions
financières dans le milieu rural ou d’un compte (37%), le manque d’envie de
s’endetter (7%) mais aussi les mauvaises expériences antérieures (11%). Il
s’agit ici du vent qui a secoué les COOPEC et IMF jusqu’à s’essouffler et
tomber à faillite en sacrifiant les épargnes des clients et/ou membres. Les
autres mauvaises expériences accouplées aux craintes d’échec et du risque sont
dues aux représailles subies par les épargnants avec des ventes aux jachères de
leurs habitations ou biens mobiliers et immobiliers. Les raisons ci-dessus
soulevées prouvent combien que, quel que soit le taux et les délais de
remboursement, les agriculteurs peuvent demander du crédit seulement si les
offreurs des services financiers peuvent les mettre dans des conditions
favorables au crédit en disponibilisant surtout les informations nécessaires au
crédit.
Une
autre manière d’appréhender la réticence des producteurs à solliciter un crédit
agricole se rapporte à la fréquence des demandes de crédit. Ainsi, à la
question de savoir combien de fois les producteurs ont déjà formulé une demande
de crédit et dans quelle institution, les divergentes réponses proviennent de ceux qui en ont déjà
fait une, c’est-à-dire 27 individus. Si le minimum est d’une fois et dans une
institution, certains sont allés même jusqu’à 4 demandes et dans 2
institutions. Le tableau ci-après traduit les fréquences.
Tableau 2 :
Fréquence de demande de crédit
Nombre de crédit demandé (xi) |
Effectif d’individus (ni) |
Nombre total de demande (nixi) |
Fréquence |
1 |
13 |
13 |
48,2 |
2 |
5 |
10 |
18,5 |
3 |
4 |
12 |
14,8 |
4 |
5 |
20 |
18,5 |
Total |
27 |
55 |
100 |
Source :
Nos enquêtes
Ce tableau montre que
48,2% des producteurs agricoles, près de la moitié, ont déjà fait seulement une
demande de crédit ; 18,5% deux ou quatre demandes et 14,8% trois demandes.
Ces résultats prouvent combien les producteurs sont réticents dans les demandes
des prêts, les multiples raisons ayant été évoquées plus haut.
En
revenant sur les bénéficiaires du crédit soit 20% de l’effectif des producteurs
mais aussi 75% du nombre de demandeurs de crédit, on constate que le crédit est
accessible dans la région. Ce sont les agriculteurs qui n’en font pas de
demande. Toutefois, le regard sur les offreurs peut confirmer cette conjecture.
De différents acteurs financiers, ces prêts ont été octroyés en 54,6% par les
ASBL et ONG et, par les MUSO et les COOPEC respectivement pour 29% et 16,4%. La
place de choix des ONG s’explique par le fait que celles-ci sont plus proches
des agriculteurs et leurs conditions sont passables et offrent de fois des
crédits en nature. Ici également, sont exigées une caution solidaire et une
garantie morale. Ainsi par exemple, l’appartenance à un groupement paysan, la
régularité aux réunions et aux activités communautaires sont souvent une
garantie pour accéder au crédit. Il en est de même des mutuelles de solidarité
contrairement aux COOPEC et IMF qui exigent souvent des garanties hypothécaires,
avec des taux élevés et des délais ne tenant pas compte du cycle cultural de
telle façon que les producteurs affirment en majorité à plus de 60% que l’accès
au crédit n’est pas facile et que lorsqu’on l’obtient c’est après beaucoup de
complications.
2.3. Modes de
satisfaction des besoins en financement
Les
besoins financiers des agriculteurs rencontrés lors des enquêtes sont
généralement satisfaits avec leurs propres ressources c’est-à-dire les recettes
issues des ventes qui sont souvent épargnées dans les réseaux des tontiniers.
En effet, à côté de leur principale activité agricole, ils pratiquent d’autres
activités secondaires agricoles spécifiques surtout à l’élevage familial et
d’autres comme le petit commerce ou alors autres petites activités génératrices
de revenu. Ainsi, lors d’un besoin financier lié à l’activité agricole, le
paysan peut utiliser les revenus issus de cette activité secondaire telle la
vente d’une bête pour combler ce besoin. Il en est de même de ceux qui
utilisent les revenus de leurs autres activités génératrices de revenu. Cela est
la preuve de la capacité d’épargne des agriculteurs qui peut être valorisée
dans un système formel pour l’autofinancement.
Si
le cas de l’autofinancement a été évoqué dans la littérature sur
le mode de financement des activités agricoles, lors des enquêtes, les autres
cas soulevés sont le recours aux amis et familles dans ce qu’on appelle le
crédit informel. Ce crédit, aux dires des enquêtés, fonctionne à
travers les tontines, les mutuelles de solidarité et peut également se
présenter en nature sous forme des travaux communautaires
communément appelés le « ekirimya »
ou « ekihingirane » en langue
vernaculaire nande. Il s’agit de s’organiser en groupe pour cultiver
simultanément le champ des membres du groupe en tour de rôle et au besoin
acheter en communauté les semences et faire le suivi du champ jusqu’à la
récolte et, le cas échéant, organiser une commercialisation en groupe. Le
système est largement répandu en milieu rural qu’il permet de répondre aux
besoins liés à la main-d’œuvre, à l’acquisition des semences et aux travaux
d’entretien et d’accès à d’autres intrants agricoles. Il est encore plus
répandu auprès des agriculteurs appartenant à de petites organisations des
producteurs agricoles qui organisent régulièrement des travaux communautaires
encouragés souvent par les organisations d’appui.
L’autre
moyen de satisfaire les besoins financiers des agriculteurs liés
presqu’également à l’autofinancement a été le recours à la polyculture et
diversification des champs. En effet, pour certains paysans, la dette
-pour traduire le crédit agricole- est parente de la pauvreté de sorte que le
crédit est perçu comme un acte néfaste et dangereux. De ce fait, le recours au
crédit n’est donc pas un acte qui s’insère dans une logique d’investissement
(achat de matériel agricole par exemple) pour financer les activités agricoles.
C’est de fois le seul moyen pour faire face à des obligations sociales ou
familiales, ou tout simplement survivre jusqu’à la prochaine récolte. Ainsi,
pour faire face à cet opprobre,
les paysans recourent à la polyculture et diversification des champs. Ceci se
comprend aisément par le fait que les agricultures sont souvent familiales et
alors d’autoconsommation familiale. Pratiquées donc sur des petites étendues et
à plusieurs endroits avec des associations des cultures, elles répondent
souvent au souci de diminuer et minimiser les risques de très mauvaises
récoltes et d’endettement. C’est ce qui explique souvent la présence des champs
éloignés les uns des autres et dispersés dans des étages écologiques
différents, à diverses altitudes et sur des versants opposés mais aussi
l’association, dans un même champ, de plusieurs espèces végétales, très
différentes d’un point de vue de leurs comportements physiologiques… D’un côté,
on peut espérer avoir toujours une récolte, sur l’une ou l’autre des parcelles
quelles que soient les conditions climatiques particulières de l’année en
question ; de l’autre, les plantes n’étant pas affectées de la même façon
par les aléas climatiques ou phytosanitaires, la production peut être garantie
grâce à l’association des cultures.
Si
les quatre éléments précités –autofinancement, crédit informel, travaux
communautaires, polyculture et diversification des champs- permettent de
répondre aux besoins financiers des agriculteurs en cas de non-accès ou mieux
de non-demande de crédit, elles sont justifiées respectivement pour 47%, 24%,
23% et 22%. Toutefois, si par le régime foncier en vigueur, les agriculteurs
ont des difficultés à acquérir un lopin de terre, avec un accès inégal à la
terre, à côté de la redevance qu’ils payent, un autre système largement
appliqué par les propriétaires des concessions est la donation à titre
gracieux des terres aux paysans pour qu’ils y pratiquent
leurs cultures souvent vivrières pendant une ou deux campagnes culturales
pendant que le propriétaire y plante une culture pérenne ou alors une autre
vivrière de longue durée comme le manioc. Il s’agit d’un marché gagnant-gagnant
où lors de la conduite des cultures vivrières, les paysans agriculteurs entretiennent
les cultures pérennes ou vivrières du propriétaire du terrain : une façon
–peut être avilissante- de répondre au problème de l’accès à la terre ; le
mécanisme d’accès à la terre ayant été évoqué pour 7% comme difficulté.
Toutefois, le cultivateur des cultures pérennes aura financé d’une façon ou
d’une autre –même si en termes non-monétaires- son exploitation mais également,
l’exploitant des vivriers de courte durée aura financé son exploitation par ses
travaux en accédant à la terre.
3.
Offre des financements agricoles dans la région de Beni – Butembo
L’offre
des financements agricoles fait allusion aux différentes interventions des
services financiers en direction du secteur agricole. Dans le cadre de cette
étude menée en 2013, ce service est assuré par 12 institutions alors
fonctionnelles en milieu de Butembo et Beni dont BIC/Butembo,
BIAC/Butembo, La Cruche Banque/Butembo,
BIAC/Beni ; COODEFI, LA SEMENCE /Butembo &
Beni, COOPEC IMARA, AGROPAS LE GRENIER, MECRE, LA BONNE MOISSON, COOPECO.
À celles-ci s’ajoute CCRD MUSO. Il sied alors d’étudier leur comportement
face au secteur agricole.
3.1. Relations
entre agriculteurs et institutions financières
Pour
saisir l’offre des financements au secteur agricole, certains préalables ont
servi de signes avant-coureurs.
Il s’agit dans un premier moment de connaître l’effectif des membres dont la
fonction déclarée lors de l’ouverture de compte est l’agriculture ; mais
également la nature des relations entretenues entre les organisations de
producteurs agricoles et les institutions financières. L’importance de ces relations
a permis de découvrir s’il y a des partenariats entre institutions financières
et organisations des producteurs dans le cadre de financement des activités
agricoles.
Pour
20 institutions financières ciblées, 12 ont répondu favorablement au questionnaire
et une partiellement, avec 4 banques et 8 IMF ou COOPEC dont 5 à Beni et 8 à
Butembo. Toutes traitent avec les personnes physiques individuellement, les
associations et les entreprises et différents services. La plupart ayant
préféré l’anonymat de leurs données, la procédure adoptée a été de les compiler
par catégorie. Toutefois, pour certaines données non très sensibles, le nom de
l’institution peut être révélé. Sur un nombre total de 46284 comptes ouverts
jusque fin 2012, 2121 appartiennent aux agriculteurs soit 4,6%. Les banques
couvrent 76 comptes soit 4% du nombre total et 0,8% par rapport au nombre total
de leurs comptes alors que les COOPEC et IMF enregistrent 2045 comptes soit 96%
du nombre total et 5,5% par rapport au nombre total de leurs comptes. Ces
données sont visualisées dans le tableau
ci-dessous :
Tableau 3 :
Nombre des comptes des agriculteurs
Catégorie d’institutions |
Nombre total comptes |
Comptes agriculteurs |
Fréquence (en %) |
Banques |
9411 |
76 |
0,8 |
COOPEC & IMF |
36873 |
2045 |
5,5 |
Total |
46284 |
2121 |
4,6 |
Source :
Nos enquêtes
De ces résultats, il
ressort que la culture d’épargne bancaire est moins développée chez les
agriculteurs, situation qui justifierait, peut-être, le nombre limité des
crédits en direction de l’agriculture.
Lors
des enquêtes, une des préoccupations a consisté à connaître l’évolution des
prêts à l’agriculture pour une durée de cinq ans. Certaines institutions ont pu
fournir ces données contrairement à d’autres. Un autre souci était de connaître combien de demandes de
crédit du secteur agricole ont été enregistrées, combien ont reçu un avis
favorable et combien ont été rejetées et pour quels motifs. Cette question n’a
reçu aucune réponse dans toutes les institutions avec promesse de s’y pencher
désormais. Par le fait que certaines institutions ne fonctionnaient pas déjà en
2008, seuls les totaux ont été considérés que de vérifier l’évolution. La
comparaison entre le nombre total des crédits et les crédits vers le secteur
agricole est présentée dans le tableau ci-dessous :
Tableau 4 :
Proportion des prêts à l’agriculture
Catégorie d’institution |
Nombre total crédit |
Crédit à l’agriculture |
Proportion (%) |
Banque |
2326 |
62 |
3 |
Coopec ou IMF |
13958 |
1050 |
8 |
Total |
16284 |
1112 |
7 |
Source :
Nos enquêtes
Dans
ce tableau, sur un nombre total de 16284 prêts accordés entre 2008 et 2012,
1112 couvrent le secteur agricole soit 7%. Les COOPEC & IMF viennent en
premier position avec 1050 prêts représentant 94,4% du nombre total et 8% de
leurs prêts alors que les banques couvrent 6,6% du nombre total représentant 3%
de leurs prêts. Les institutions financières concentrent leurs efforts en
d’autres domaines que le secteur agricole qui paraît marginalisé. Encore
faut-il savoir si les agriculteurs en font une demande, surtout qu’ils n’ont
même pas de comptes dans ces institutions ! Les banques concentrent
principalement leurs efforts sur les grandes entreprises commerciales, les
fonctionnaires, les salariés et l’État. C’est ce qui ressort d’ailleurs
de la part accordée au secteur agricole
qui est 7,5% dans l’ensemble des activités qui bénéficient du financement. Les
financements vont majoritairement au secteur du commerce raflant à lui seul
84,5%, les 8% restant étant partagé entre les services, les industries manufacturières,
bâtiments et travaux publics et la transformation agro-industrielle. Le secteur
rural reste très marginalisé et les exploitations familiales sont en général
exclues du système bancaire, de par leur situation informelle, et le risque
élevé lié à l’activité agricole. En effet, dans les banques, l’activité
agricole ne constitue pas un marché séparé et ne dispose pas d’un département
distinct. Les agriculteurs sont considérés en tant que tels comme des clients
au même titre que les autres. Mais il faut savoir aussi que les institutions
financières manquent d’expertise en matière de financement des exploitations
agricoles.
La
place de l’agriculture montre que celle-ci ne constitue pas la priorité du
financement des banques qui, du reste, sont toutes commerciales. Les crédits alloués par
elles à l’agriculture sont soit pour des entreprises agricoles de type
industriel soit pour la production végétale à une échelle industrielle destinée
à l’exportation. En réalité, les petits producteurs ne « s’approchent » même
pas du système bancaire, étant donné la modicité des montants de crédit dont
ils ont besoin. Par ailleurs, en dépit de sa proximité géographique avec les
banques, l’agriculture reste une activité « artisanale » non éligible au
financement bancaire.
3.3. Des
conditions d’accès au crédit
Les
lignes précédentes en rapport avec la demande de financement ont montré que les
institutions financières de proximité sont sollicitées par le secteur agricole
en raison de 16,4%. La différence, soit 83,6%, est couverte par d’autres
acteurs comme les ONG et les mutuelles de solidarité. Également, par
rapport à l’offre des services, ces institutions financent l’agriculture en
raison de 7% ; la différence, soit 93% étant orientée vers d’autres secteurs,
principalement le commerce.
En effet, même parmi les secteurs d’intervention, certaines institutions ont
mentionné qu’elles n’interviennent presque pas en agriculture. Les raisons
étant multiples et parfois spécifiques à chaque institution, il est question de
relever ici les conditions ou les faits qui peuvent exercer une influence sur
la décision d’une IMF de financer ou non l’agriculture.
Les
institutions sous étude octroient le plus régulièrement des prêts à très court
terme allant de quelques jours à une année, sauf dans la COOPEC AGROPAS LE
GRENIER où le membre peut solliciter l’échéance surtout en cas d’un crédit
agricole. Prêts en espèces, les remboursements peuvent se faire à l’échéance ou
par tranche. Dans les COOPEC et IMF, le taux varie de 2 à 3% par mois pour tous
les prêts sauf quelques cas pour l’agriculture qui vont à 2% (chez COOPEC
IMARA). Dans la plupart des Banques, le taux diminue en raison inverse du
montant sollicité et va de 30% à 22% ou même 16% par an selon que le montant
déclaré par certaines
banques est moins de 5 000$ ou plus de 30 000$. De manière générale,
aucune attention particulière n’est réservée au secteur agricole. Ces éléments
montrent que, au-delà des conditionnalités générales admises, certaines
institutions ont leurs particularités propres quant à ce qui concerne l’octroi
de crédit liées quelquefois aussi au rationnement du crédit. C’est ce qui fait
souvent que tout en remplissant les mêmes conditions et en répondant aux mêmes
critères, certaines personnes ont accès au crédit et d’autres non.
À
côté du taux, l’accès au crédit est également conditionné par une garantie.
Matérielle pour la plupart des fois, elle est matérialisée par le dépôt de la
quittance ou du certificat parcellaire en original au niveau de la banque. Pour
certaines institutions, la garantie matérielle doit avoir la valeur de plus ou
moins 10% du montant sollicité. Pour d’autres, elle doit couvrir toute la
valeur sollicitée. Pour d’autres encore, cette garantie matérielle doit être
appuyée par un titre parcellaire ou un certificat d’enregistrement.
Malheureusement, les avoirs des agriculteurs, pour la plupart ne permettent pas
de répondre à ces conditions.
3.4. Du
remboursement des crédits
Pour
vérifier les différentes allégations selon lesquelles le secteur agricole
offrait moins de garantie de remboursement, une autre préoccupation a consisté
à se rendre compte auprès des financiers si les différents bénéficiaires des
crédits agricoles ont été à mesure de rembourser à l’échéance et s’ils ont
réellement tenu promesse quant à l’affectation du crédit. De façon générale,
tous les bénéficiaires ont été à mesure de rembourser leurs crédits avec un
respect de l’échéance à 82%. Le cas le plus alarmant a été observé dans une des
banques enquêtées qui a requis l’anonymat. Sur un montant total des crédits
agricoles octroyés de 2008 à 2012 de 575 000$, 450 000$ sont détenus
par une personne depuis 2009 pour une échéance de 24 mois qui n’est pas
parvenue à rembourser jusqu’à janvier 2013. Son collègue ayant contracté un
autre crédit
agricole à la même période a 50 000$ d’impayés, de sorte que parmi leurs
impayés, les crédits du secteur agricole enregistrent 25% alors que celui-ci
n’occupe qu’à peine 1% de leurs activités. Malheureusement, ces derniers ne
sont plus réguliers dans leurs mouvements bancaires avec la possibilité d’avoir
changé de banquier où ils peuvent aussi solliciter d’autres crédits[3].
Si
dans l’ensemble, le crédit a été remboursé, une préoccupation majeure consiste
à savoir s’il a été affecté en totalité à l’activité agricole et s’il a été
injecté dans une autre activité de type commercial qui en a facilité le
remboursement. Cependant cette question de l’activité d’affectation du crédit
n’a reçu aucune réponse favorable de la part des financiers. Ils reconnaissent
volontiers de n’avoir pas organisé un suivi ou accompagnement du crédit. Ceci
constitue déjà un indice par rapport aux ressources humaines qui soient en
mesure d’évaluer ou de suivre les crédits agricoles. Ce qui a figuré parmi les
recommandations des producteurs agricoles par rapport à l’amélioration de
l’offre de financement au secteur agricole.
4.
Offre et demande de financement agricole : vers un modèle de financement
Pour
comprendre les causes de l’inadéquation des produits et services offerts par
les institutions de financement par rapport aux besoins réels de financement de
l’agriculture, il est idéal de recourir aux diverses analyses de la demande
et de l’offre de financement agricole telles que développées dans les points
précédents. Pour ce faire, il a été fait recours à la méthodologie utilisée par
Kodjo (2003 : 21-31) pour analyser la contribution de la microfinance au
financement de l’agriculture béninoise parce que celle-ci confronte les
conditions liées à l’offre et la demande.
Cependant,
pour envisager cette méthodologie, la meilleure approche est d’adopter une
analyse centrée sur l’accès des producteurs agricoles au crédit. Cela suppose
alors deux éléments clés. D’un côté, les conditions d’exercice de l’activité
des institutions financières (implantation physique, administration,
ressources, services offerts, conditions d’offre de ces services, etc.) peuvent
exercer une influence sur la décision de l’institution de financer ou non
l’agriculture. De l’autre côté, les conditions socio-économiques de
l’exploitant comme les conditions d’accès au crédit imposées par les
institutions peuvent influencer la décision du producteur de demander le crédit
et la possibilité d’y accéder.
4.1. Quel modèle de financement
agricole ?
Le
présent article ne monte pas un modèle économétrique dont les variables
dépendantes peuvent être financement agriculture pour les institutions de
financement et demande du crédit pour les agriculteurs. Au contraire, de façon
plus simple et empirique, il vérifie les facteurs susceptibles d’influencer les
décisions des uns et des autres dans l’offre et la demande du financement
agricole. Ainsi, pour alimenter le débat, sont reprises ici les raisons pour
lesquels les institutions n’offrent pas leurs services aux agriculteurs et les
raisons pour lesquelles les agriculteurs ne recourent pas aux services
financiers et leurs observations par rapport au système d’offre de crédit en
direction de l’agriculture par les institutions de financement.
De
la variable financement de l’agriculture, plusieurs éléments peuvent intervenir
et influencer les institutions financières à offrir leurs services aux
agriculteurs. Ont été évoqués le lieu d’implantation et le rayon d’action des
activités des institutions, les ressources matérielles, financières et humaines
de l’institution, la catégorie des bénéficiaires des actions, les secteurs
économiques bénéficiant du financement, les différentes conditions telles que
le volume de crédit, le taux, le délai de remboursement et les autres raisons comme les risques trop
élevés dans l’agriculture, la méconnaissance du secteur, la non rentabilité des
activités du secteur, le manque de professionnalisme des agriculteurs, le
manque de compétence au sein de l’institution (pour étudier les demandes de
financement agricole), les difficultés liées au remboursement…
Quant
à la variable demande de crédit, les paysans avancent plusieurs raisons de demande du
crédit agricole en vue de répondre aux différents besoins dans le cycle de
production. Également, ils en ont énormément pour ne pas recourir aux
services financiers. Au-delà de certains aspects sociodémographiques des
producteurs comme le sexe, la taille du ménage, l’âge, le niveau d’études, le
statut matrimonial, la demande de crédit peut être influencée par la taille de
l’exploitation, le niveau de technologie au sein de l’exploitation, les
conditions d’accès au crédit (taux d’intérêt, délai de remboursement…), mais
aussi les informations sur les possibilités de crédit et les activités des
institutions de financement.
Les
différentes analyses ont démontré que les activités des institutions ont un
grand effet sur l’offre du financement agricole. En effet, le secteur agricole
occupe une moindre proportion de leurs activités soit 7,5% et la proportion des
clients ou membres dont l’activité principale est l’agriculture ne va pas
au-delà de 5% de sorte que les relations que ces institutions entretiennent
avec les producteurs agricoles se résument en un terme très vague de « relations d’affaires », limitées à
la seule fin qu’ils sont membres ou clients des institutions pouvant bénéficier
de différents services s’ils le souhaitent. Face aux risques trop élevés en
agriculture, un point clé réside dans le manque de professionnalisme des
agriculteurs. Ce qui suppose de passer d’une agriculture familiale aux grandes
exploitations agricoles et à l’organisation de vraies filières agricoles
s’appuyant sur la chaîne de valeur.
De
ce qui précède, la meilleure entrée, de nos jours, pour financer l’agriculture
est celle de la finance agricole centrée sur la filière ou la chaîne de valeur[4]. Par contre, à partir
des entretiens semi-structurés avec certains responsables ou agents
d’institutions financières et par rapport à leurs avis sur leurs possibilités
d’engagement dans l’amélioration de l’offre de financement à l’agriculture,
leur mobile principal est un manque de ressources financières. C’est ce qui
explique le fait qu’elles souhaitent les subventions étatiques pour
l’agriculture à travers leurs institutions. À ces ressources, s’ajoutent
les ressources humaines. En effet, les institutions financières connaissent
moins le secteur agricole et leurs agents de crédit sont moins outillés dans le
suivi des prêts agricoles ne maîtrisant presque pas les besoins agricoles.
Quant
aux producteurs agricoles, ils n’ont pas d’informations sur les activités des
institutions de financement et par ricochet, n’ont pas d’épargne préalable ou
n’ont pas de comptes bancaires. Mais en réalité, il n’y a pas d’institutions
financières en milieu rural même si le rayon d’action de ces dernières couvre
aussi les deux territoires. Il faut donc une finance de proximité. Or tel que
le notent Betty Wampflier et ses collègues
(2008 : 17), « Agriculture et
systèmes financiers se connaissent mal et se font peu confiance ».
Taxé de secteur « d’impayés
importants » pour les institutions financières, le secteur agricole
considère le secteur financier comme un « secteur de rapace » avec des taux d’intérêt prohibitifs. En
effet, la réticence des producteurs s’explique aussi par les souvenirs macabres
liés aux faillites et/ou détournements des institutions financières qui ont
engendré la disparition de l’épargne des populations. Aussi, la non-demande de
crédit informel s’explique par le fait que les producteurs recourent aussi à
leurs propres fonds d’autofinancement ou alors à des réseaux familiaux
constitués des mutuelles de solidarité, des tontines ou encore appartiennent à
des organisations paysannes appuyées par certaines structures qui peuvent leur
octroyer des semences ou autres intrants agricoles.
Entre
les deux acteurs, un autre acteur incontournable pour notre analyse est l’agent
« ONG ». La présente démarche interroge les organisations qui appuient
les agriculteurs dans leurs activités. Avec ces acteurs, il s’agit de savoir
pourquoi certaines organisations manifestent souvent un manque d’intérêts pour
les activités agricoles. Par ordre de grandeur, ils citent le manque des
ressources, le manque de professionnalisme chez les agriculteurs et les
différents risques inhérents au secteur. Également, le taux d’intérêt
devrait être adapté aux activités agricoles et un fonds spécial devrait être
octroyé par l’État et le rendre disponible aux institutions de
financement. De l’autre côté, les services techniques d’accompagnement des
agriculteurs devraient être opérationnels pour que ces derniers soient
compétitifs pour un accès facile au crédit.
Il
ressort de ces analyses que le financement agricole reste extrêmement difficile
pour plusieurs raisons. Outre l’offre et la demande de financement, d’autres
facteurs peuvent influer sur l’accès des agriculteurs au crédit agricole.
À côté de la volonté du financier à octroyer le crédit et de celle de
l’agriculteur à demander le crédit nonobstant certaines contraintes et
conditions, l’accès au crédit est aussi lié à une série d’événements
aléatoires, certains sous le contrôle du prêteur et d’autres sous celui de l’emprunteur, d’autres encore
échappant aux deux parties. Pour comprendre ces autres éléments, Niyongabo (2008 : 14) conseille de se référer à la
notion de « matching » empruntée au marché
du travail.
D’après
cette notion, sur le marché du travail, il n’est pas exceptionnel que
coexistent des postes vacants et des personnes au chômage, sans que ce soit
nécessairement lié au salaire en tant qu’élément de rencontre entre l’offre et
la demande. Cette discordance entre l’offre et la demande de travail peut être
due par exemple à l’éloignement géographique entre les deux parties,
l’inadéquation entre les caractéristiques des postes vacants et les
qualifications des demandeurs d’emploi, etc. Cela peut bien s’appliquer quant
au financement de l’agriculture qui est dû à l’inadéquation entre l’offre et la
demande du financement par rapport aux conditions des financiers et aux
attentes des producteurs. Ainsi donc, le crédit agricole est fonction de
l’offre et de la demande de financement et d’une autre variable M, liée à la
notion de « matching ». Cette variable M
inclut certains attributs du rôle de l’État. Il s’agit, entre autres, de
l’existence de l’infrastructure au sens large, les ressources humaines, la
couverture géographique par les institutions financières en tenant en compte du
degré de pauvreté, des partenariats public-privé, du cadre légal et
réglementaire.
En
raison donc de la crise que connaît le système de financement actuel du secteur
agricole, il faut construire un nouveau système de financement de
l’agriculture, modèle qui associe trois éléments importants : la
consolidation et professionnalisation du secteur agricole (suivi, proximité,
connaissance du secteur, assistance technique et accès à l’information), la
professionnalisation de la fonction de financement (en la dotant des capacités
d’analyse des besoins agricoles) et la redéfinition du rôle de l’État.
Mais également, pour qu’il y ait une adéquation entre l’offre et la demande de
financement agricole, ces différentes tâches supposent la mise en
place d’une concertation entre les acteurs et d’une régulation en mettant en
place le temps et les moyens nécessaires pour accompagner le processus.
4.2. Quelques
recommandations pratiques
Les
meilleures pratiques de financement agricole corroborent les préalables qui
supposent que l’agriculture doit être compétitive, consolidée et professionnalisée pour séduire le secteur
financier. Des avis des uns des autres, les rôles des uns et des autres se
résument en ces éléments :
A.
À l’endroit des producteurs agricoles
La
plupart des avis exigent aux producteurs agricoles de former des associations
fortes capables d’assurer leur
promotion et jusqu’à se fédérer pour la défense de leurs intérêts ou sous forme
coopérative. Ceci est déjà au rendez-vous en RDC. Cependant, les actions
semblent encore être menées en ordre dispersé et certaines organisations
paysannes ou certains producteurs ne se reconnaissent pas dans les cadres
nationaux de concertation des paysans déjà mis en place. Si au Nord-Kivu se
retrouve la FOPAC, la Confédération Nationale des paysans du Congo (CONAPAC)
réunit des O.P. de différentes provinces et ses retombées devraient également
atteindre les autres regroupements d’O.P. dans les différents coins du pays.
Faisant
une suite logique, l’autre élément attendu des producteurs et de leurs
organisations est le développement des plans d'affaires crédibles bancables
autour des cultures commerçables. Il s’agit ici de l’approche filière dans la
conception des produits. Connue sous le vocable de la chaîne de valeur, elle
figure actuellement parmi les approches prônées par l’Association Africaine du
Crédit Rural et Agricole, AFRACA en sigle (AFRACA, 2011 ; MUMBI KIMATHI et al.,
2008). Le
diagnostic des systèmes de production à l’intérieur des filières constitue le
fondement de l’offre de crédit agricole. En effet, seule une connaissance
approfondie du fonctionnement des divers maillons de la chaîne de valeur,
permettra d’adapter les produits de crédit aux besoins de l’industrie et ainsi
les rendre performants sur les plans opérationnel et financier.
B.
À l’endroit des institutions financières et bancaires
La
recommandation assignée aux institutions de finance a consisté essentiellement
à améliorer l’adaptation de l’offre du financement à la demande et aux contraintes
agricoles. Mais ceci ne peut être possible que dans la mesure où les
institutions ont des connaissances suffisantes sur les activités agricoles.
Ainsi, pour consolider le secteur agricole, il faut également professionnaliser
la fonction de financement. Cette professionnalisation concerne d’abord tous les
mécanismes de sécurisation du secteur dans le respect des normes financières en
cherchant son autonomie et en s’insérant dans le marché financier. Mais aussi
elle concerne la spécialisation et la professionnalisation dans le secteur agricole
par la maitrise de notions liées aux exploitations agricoles. En d’autres
termes, la conception des produits de crédit modulés aux besoins des
agriculteurs doit allier satisfaction de la demande, développement de marché,
rentabilité et gestion des risques. Cela suppose donc une connexion entre la
finance et l’agricole.
Conclusion
Le
financement du secteur agricole n’est pas encore une question résolue tant au
niveau national que local. Malgré les potentiels agricole et financier
qui existent, les réticences sont encore énormes quant à l’implication de
différents acteurs financiers tant publics que privés de sorte que le grand
problème auquel sont confrontés les producteurs agricoles dans la région de
Beni – Butembo est le non-accès au financement. Et pour le comble, l’offre
publique du financement agricole reste la plus absente au rendez-vous surtout
avec la faillite de la BCA et de la SOFIDE. C’est ainsi que par rapport au
comportement de l’offre et de la demande de financement, on assiste à un
antagonisme entre deux catégories d’acteurs qui, d’un côté sont en besoin
croissant de financement et ne trouvent pas de financement, et ce sont les
producteurs agricoles. Mais également, de l’autre côté, les institutions
financières qui, habilitées à fournir du financement au secteur agricole,
restent frileuses et hésitantes et agissent à moindre degré. Ainsi la question
qui demeure est celle de l’efficacité de ces financements, leur viabilité et
leur durabilité.
Pour
améliorer la contribution de la microfinance au financement des agricultures
familiales, il sied de reprendre et de capitaliser les résultats des études
antérieures (B. Wampfler et C. Lapenu, C.,
2002 ; WAMPFLER B., DOLIGEZ F. et LAPENEU C, 2008) et retenir que le
financement de l’agriculture est large et recouvre des domaines de nature
différente : le financement de l’exploitation agricole, le financement des
organisations agricoles, le financement de la commercialisation des productions
agricoles et le financement des services d’appui à l’agriculture. Ainsi, les
pistes suivantes sont préconisées :
-
En amont, moderniser et sécuriser les
secteurs agricoles et la microfinance ;
-
Améliorer l’adaptation de l’offre à la
demande agricole et aux contraintes agricoles ;
-
Améliorer la sécurisation du crédit à
l'agriculture ;
-
Décloisonner le secteur de la micro
finance et renforcer son insertion dans le marché financier ;
-
Sensibiliser les instances politiques et
les bailleurs de fonds à la nécessité d’un appui renforcé à la microfinance
pour le financement de l’agriculture ;
-
Renforcer l’alliance entre organisations
paysannes et IMF ;
-
Améliorer la convergence des politiques
publiques.
Notes bibliographiques
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[1]
« Moins de 2% du budget pour l’agriculture », in http://lavoixdupaysancongolais.com/2012/11/14/moins-de-2-de-budget-pour-lagriculture/,
articlé consulté le 20 novembre 2012. Pour l’année 2013, 1,75 % seulement est
la part du budget alloué à l’agriculture et au développement rural, deux
secteurs importants contre 3 % en 2012. Le budget réservé à l’agriculture
s’élève à 80 924 458 115 Francs congolais, soit 1,22 % du budget et au
développement rural : 34 861 735 635 Francs congolais, soit
0,53 %. Cela fait un total général de 1,75 % alloué à ces deux secteurs en 2013
contre 3, % en 2012.
[2] Pour approfondir ce thème, Lire WAMPFLER B., DOLIGEZ
F. et LAPENEU C., 2008 : 17 ; LAPENU C., in
MORVANT-ROUX, S. et alii, 2009 : 77
[3] Pour mesure de prudence, les institutions financières
(banques, IMF et COOPEC) ont commencé un cadre de concertation pour résoudre
leurs problèmes communs relatifs surtout aux clients douteux et autres qui sont
souvent les mêmes. Les nouvelles technologies aidant, ils présentent presque
souvent les mêmes titres fonciers pour les crédits dans différentes
institutions.
[4] Les théoriciens du financement agricole retiennent deux grandes
entrées pour la finance rurale et agricole : il s’agit de l’entrée par le
secteur financier et de l’entrée par les filières ou Chaînes de valeur. (Cf.
LAPENU, C., 2007 : 4-9 ; Sarah MARSAN et Abou SALL, , 2008 : 5).